Moins nombreux, soumis à des exigences de rentabilité plus fortes, les bûcherons de la région Alsace déplorent la dégradation de leurs conditions de travail.
9 h ce mardi matin dans la forêt doaniale de Lutzelhouse, au-dessus de la vallée de la Bruche. Pour Jean-Marc Hisler et Thierry Diem, c’est l’heure de la pause. Autour du feu, évidemment, celui que tout bûcheron qui se respecte commence par allumer lorsqu’il arrive sur un chantier. Pour les deux hommes qui en profitent pour faire tourner le thermos de café, le moment est précieux. C’est la première occasion de la journée de poser la tronçonneuse qu’ils portent à bout de bras depuis deux heures déjà.
« On va là où les machines ne peuvent pas aller »
« Aujourd’hui, ça va. Il fait beau et on travaille sur un vrai terrain de golf », constate Jean-Marc Hisler en lançant un regard appréciateur sur la futaie claire, aérée et en léger dénivelé, qui les entoure. « Mais, regrette-t-il, ce n’est pas toujours comme ça ». « En fait, déplore leur collègue André Thomas, bûcheron-sylviculteur à l’ONF et délégué syndical CGT, on travaille de plus en plus dans l’extrême ». Dehors par tous les temps pour « éviter de subir des pertes de salaires les jours d’intempérie », les bûcherons interviennent aussi de plus en plus fréquemment dans des terrains difficiles, pentus, pierreux ou glissants. « C’est simple, résume Jean-Marc Hisler, on va là où les machines, dont le nombre a fortement augmenté avec le développement de la mécanisation de l’exploitation forestière, ne peuvent pas aller et on ne va quasiment plus dans les parcelles faciles d’accès ». Or, « quand vous passez toute la journée dehors, dans une pente à 35 %, les pieds dans la neige, en mangeant au feu, vous finissez par le payer », souligne André Thomas. « Il faut être constamment en éveil »
Le rythme de travail a lui aussi évolué.
« Année après année, les effectifs diminuent et les exigences de productivité augmentent », insiste le délégué syndical.
Résultat : « On coupe tout le temps. Avant, on écorçait les troncs, on mettait les branches en taille, on les brûlait. Ça permettait de casser le rythme, de souffler. Maintenant, observe Jean-Marc Hisler, on a la tronçonneuse en main toute la journée », avec toutes les conséquences que cela entraîne.
Car tenir une machine de 8 kg, qui vibre huit heures par jour, « ça se paye cash ». Cela se traduit par « plus de tendinites, de maux de dos et de maladies professionnelles », souligne le bûcheron.
« Dans cette profession, soupire André Thomas, beaucoup de gens sont cassés et ont des soucis de santé ».
Surtout, renchérit Thierry Diem, « à force de faire tout le temps la même chose, la vigilance diminue. Or en forêt, il faut être constamment en éveil, sinon c’est l’accident et là, on est tout de suite sur le carreau ».
Les pantalons de sécurité, les casques et les gants, aujourd’hui obligatoires, ne protègent que de manière très imparfaite des coups de tronçonneuse et des chutes de branches, encore trop fréquents. Jean-Marc Hisler, qui a subi les deux, peut en témoigner.
« Lors de la dernière session de recyclage au secourisme, le formateur de la Caisse d’assurance accidents agricoles nous a prévenus. L’un d’entre vous, a-t-il expliqué aux cinq bûcherons présents, ne sera plus là à l’âge de la retraite », raconte M. Diem.
Pas de quoi pourtant dissuader ces professionnels qui tiennent, comme lui, à « la liberté » que leur procure « ce métier très physique, très technique ». « On n’a personne derrière nous, explique Thierry Diem. C’est nous qui décidons de la manière dont il faut mener un chantier, dont on va attaquer un arbre et où il va tomber ».
« On doit d’ailleurs se gérer comme une entreprise », souligne Jean-Marc Hisler.
Et pour cause : « L’achat et l’entretien des tronçonneuses, car il faut en avoir deux au cas où l’une tombe en panne, ainsi que le carburant qu’elle consomment, sont à notre charge. Notre employeur nous verse une indemnité de location à l’heure ». Mais « il n’est pas rare qu’on y soit de notre poche ».
Tout ça, note André Thomas, « pour un salaire de misère : 1 400 € bruts en début de carrière, 1 811 € hors ancienneté à la fin ». Nouvelles responsabilités
Les bûcherons se voient en outre confier de nouvelles responsabilités. Ils sont de plus en plus fréquemment amenés à calculer et à transmettre eux-mêmes le cubage réalisé par l’équipe durant la journée. Une tâche jusqu’alors dévolue aux forestiers.
Ils sont également les chevilles ouvrières des nouvelles techniques sylvicoles introduites par l’ONF. Celles qui préconisent la régénération naturelle, plutôt que les plantations uniformes qui se traduisent par des coupes à blanc.
Place désormais aux fûtaies irrégulières,qui favorisent la biodiversité, nécessitent de la part des sylviculteurs plus de technicité mais exigent nettement moins d’heures de travail à l’hectare.
« Notre crainte, explique André Thomas, est que cette évolution se répercute sur les effectifs. Notre souhait est que les progrès profitent à l’humain ».
Odile Weiss« Aujourd’hui, tout est basé sur la rentabilité à court terme »
Le nombre de bûcherons diminue d’année en année.
« En 1982, calcule André Thomas, les communes alsaciennes employaient un millier de bûcherons et d’ouvriers forestiers et l’ONF environ 700. Aujourd’hui, il reste à peine plus de 200 bûcherons à l’ONF et à peu près 210 dans les communes forestières ».
Il y a peu de chances que le mouvement s’inverse. Ces dernières années, l’Office national des forêts s’est en effet vu imposer par l’État des charges financières nouvelles ainsi qu’une diminution de ses crédits.
Résultat, analyse le délégué syndical CGT : « Aujourd’hui, tout est basé sur la rentabilité à court terme ». L’ONF « s’efforce de réduire l’emploi et d’augmenter la productivité ».
Impact sur la forêt Il « doit également couper plus de bois pour équilibrer ses comptes ».
Autant d’orientations qui heurtent profondément la CGT et les bûcherons qu’elle représente. Pour le syndicat, leurs conséquences sur les conditions de travail justifient ses revendications : « Plus d’embauches, une revalorisation des salaires (le smic à 1 750 € et une prime de mensuelle de 300 € pour tous) et la retraite à 55 ans », détaille M. Thomas. La CGT demande également que les progrès qu’apporte la mécanisation « permettent d’améliorer les conditions d’exercice » des professionnels.
Autre source d’indignation :
l’impact de cette politique sur la forêt. « Aujourd’hui, on décapitalise, regrette le délégué syndical.
« Nos anciens nous ont laissé du bois mais nous, à force de couper, on ne sait pas ce qu’on laissera à nos enfants ». Bien sûr, reconnaît-il,
« il y aura toujours de la forêt, mais la densité va baisser. Il arrivera un moment où on sortira moins de bois à l’hectare et ça, cela aura un impact économique et social ».
O.W.
D N A Édition du Dim 9 mai 2010
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