L’appel de la forêt
André Claus a gardé ses affaires de bûcheron et sa bonne vieille hache. Photo DNA
Après 33 ans de bons et loyaux services dans les forêts de la région, mais aussi de toute la France, le bûcheron André Claus a pris sa retraite fin 2011. Il était le dernier à exercer cette profession dans son village.
« À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le village d’Eschbourg comptait plus d’une centaine de bûcherons. Dans les années quatre-vingt, le nombre était déjà tombé à une douzaine », évoque André Claus. « Aujourd’hui, je suis le dernier à partir », se désole celui qui a passé sa vie entouré d’odeurs de bois, sèves et humus forestier. L’amour de la forêt, il l’a ressenti tout petit, lorsque son père, lui-même bûcheron, l’emmenait faire de longues balades dans les sentiers parfois escarpés des Vosges du Nord. « Mon père était bûcheron tout comme mes oncles, les discussions familiales tournaient beaucoup autour de ça. Notre métier, c’est un peu l’appel de la forêt », confie-t-il en référence au célèbre roman de Jack London.
« On ne tranche pas un arbre comme ça, il faut du respect et du savoir-faire »
Car « pour être bûcheron, il faut indéniablement la passion de la nature », livre André Claus. L’activité est en effet loin d’être tranquille. « Il ne faut pas avoir peur de se salir, de se faire mal ou de travailler par tous les temps, y compris la pluie. Mais même dans ces moments-là, les bois ont leur charme ». Alors que ce type de profession nécessite de rester des heures dans le froid, à couper, tailler, déblayer, c’est « statistiquement, le second métier le plus risqué en termes d’accidents corporels, après marin pêcheur », souligne-t-il. Autant dire que de la motivation et de l’envie, il en faut. « Le plus dangereux ? Les pentes, les chutes d’arbres, et aussi le matériel ». L’évolution du métier a néanmoins aussi modifié la manière de fonctionner des bûcherons. Jadis, c’était une tradition qui se perpétuait de père en fils, sans réelle formation. « Moi, j’ai appris sur le tas, c’est la meilleure des écoles. Il y a même un dicton qui dit qu’on ne connaît pas son métier de bûcheron avant la retraite ». Aujourd’hui, suite à de nombreux accidents, et pour respecter les législations européennes, il faut faire des apprentissages et passer diverses formations. C’est ainsi que, pour transmettre son savoir, le jeune retraité a durant 15 ans été formateur à l’école de bûcherons de Saverne. « Je répétais à ceux qui voulaient se perfectionner que l’important était d’être autonome. Savoir bien gérer son terrain prend bien cinq ans, les gestes doivent être plus précis qu’on ne peut l’imaginer. On ne tranche pas un arbre comme ça, il faut du respect et du savoir-faire ». Pour André Claus, « quand on se promène dans la forêt et qu’on la trouve belle, on n’imagine pas en fait tout le travail qu’il y a derrière ».
Côté pratique, la coupe de bois va essentiellement servir à deux types d’utilisation : le bois d’œuvre, qui est fait avec le tronc, et le bois de chauffe, qui est lui confectionné à partir de la cime. « On coupe toutes les variétés d’arbres, les résineux et les feuillus ». Et pour savoir quel arbre abattre, le bûcheron ne travaille pas seul mais en collaboration avec un garde forestier de l’ONF. « Avant la réforme de l’ONF en 2002, nous étions regroupés en triage, c’est-à-dire en parcelles de 800 à 1 000 hectares dont nous avions, à neuf ou dix, la gestion. Mais maintenant, avec le manque de bûcherons, c’est quatre bonhommes pour quatre triages », indique André Claus.
Travailler avec son propre matériel
Après 2002, les bûcherons ont plus fonctionné comme des entreprises. « On n’a plus de triage d’attache. On fonctionne sur commande dorénavant ». Mais ce qui ne change pas, c’est que le bûcheron travaille toujours avec son propre matériel. « C’est peut-être ce qui peut expliquer la désaffection pour le métier aujourd’hui. Il faut payer son matériel et une voiture qui marche bien. Avant, on n’intervenait que dans un secteur, je faisais à tout casser 5 000 kilomètres par an. Là, on est plus proche des 20 000. Tout acheter devient un sacré investissement. »
Et alors qu’il a été amené à couvrir un vaste territoire, du sud de la France à l’Alsace, quand en 1999 la tempête Lothar a sévi, le bûcheron a été meurtri. « C’était horrible, désolant. J’en avais les larmes aux yeux. Ça a vraiment été un coup au moral. Mais bon, il a fallu penser à l’après-tempête. On a déblayé, replanté. Aujourd’hui, douze ans après, la nature a repris ses droits, il n’y a plus aucune trace. Mais sur le coup, c’était comme si son chez-soi était complètement cassé », se souvient-il.
Après plus de 30 ans passés en forêt, son amour pour ce paysage et ce territoire est toujours aussi fort. « Il n’y a pas un matin où je me sois dit que je n’avais pas envie d’aller au boulot. J’ai eu la chance de pouvoir faire de ma passion mon métier, et ça, c’est formidable », conclut André Claus, chemise à carreaux fétiche sur les épaules et bonnet vissé sur la tête.
D.N.A.Par Hastasia Desanti, publié le 06/01/2012
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