La décision de l’ONF Alsace d’investir dans du nouveau matériel de débardage inquiète au plus haut point les entreprises de travaux forestiers de la région. Déjà fragilisées par la crise, elles redoutent une concurrence qu’elles jugent déloyale.
Georges Remy ne décolère pas. Pour le président du groupement syndical des entreprises de travaux forestiers d’Alsace (GSETF), c’est simple : « On est en train de nous préparer un nouveau Lothar* ! ». Ce ne sont pas les adhérents du syndicat qui vont le contredire. Bien au contraire. Ils sont même prêts à aller manifester sous les fenêtres de la direction régionale de l’Office national des forêts pour dire tout le mal qu’ils pensent de sa décision d’investir dans de nouveaux équipements lourds de débardage.
Explication : l’ONF Alsace a programmé l’achat de dix tracteurs, appelés à remplacer, à terme, les quatre machines dont il dispose actuellement et qui commencent à sentir le poids des ans. Le tout, confirme Jean-Luc Dunoyer, directeur territorial de l’office, dans un délai de trois ans.
Concurrence accrue
Cet investissement (sachant qu’une machine coûte entre 300 000 et 500 000 €) « permettra d’adapter nos moyens techniques, d’améliorer la sécurité de nos bûcherons et d’augmenter le nombre de chantiers où un tracteur sera à leur disposition », précise-t-il. Plus de tracteurs signifiera aussi plus de bois traités en direct. « En 2007, nous avons débardé nous-mêmes près de 5 % des 900 000 m³ de bois façonnés que nous avons commercialisés ». Cette proportion va donc forcément progresser. Mais, promet le directeur territorial, « nous n’irons pas au-delà de 8 % ». Cette perspective inquiète au plus haut point les entreprises de travaux forestiers. Et pour cause : « Aujourd’hui, nos moyens nous permettent d’absorber la totalité de la production de la forêt alsacienne », explique Georges Remy. Elles disposent en effet, a calculé Fibois, l’interprofession régionale de la forêt et du bois d’Alsace, dans une étude réalisée en octobre dernier**, d’un potentiel de production de 1,75 million de m ³ par an, alors que la dernière bonne récolte, en 2007, s’est élevée à 1,6 millions de m³.
Dans ces conditions « nous allons être concurrents avec l’ONF », constate M. Remy en redoutant que ce dernier « s’approprie les plus beaux chantiers et ne nous laisse que les plus difficiles ». Et ce alors que les entreprises alsaciennes sortent fragilisées d’une année 2009 particulièrement difficile.
Faute de commandes, certaines n’ont quasiment pas eu de travail pendant le premier semestre. Or il leur a bien fallu continuer à rembourser les emprunts consentis pour s’équiper en matériel ; L’État et de la Région Alsace les ont en effet fortement incitées ces dernières années à poursuivre leur effort de mécanisation.
Pour Isabelle Scherer, secrétaire du GSETF Alsace, le calcul est vite fait : « 80 % des entreprises fonctionnent avec un seul tracteur ». Chaque nouvelle machine de l’ONF risque donc « d’entraîner la disparition d’une entreprise ». Cette nouvelle concurrence, estime le président, va également amener certains opérateurs à casser les prix pour avoir du travail. « Et là, affirme-t-il, ce ne sont pas dix entreprises qui tomberont, mais 20 ! »
Question de conjoncture
Pour Jean-Luc Dunoyer, cette perpective sera contredite par le retournement de la conjoncture. « Nous avons observé une certaine reprise en octobre 2009, notamment pour les résineux blancs et les bois pour l’industrie de trituration. » « Nous pensons que nous pourrons retrouver à moyen terme un volume de 900 000 m³ de bois façonné » et qu’avec le développement actuel du bois-énergie et du bois-construction « nous pourrons évoluer vers 1 million de m³. Nous regagnerions donc 12 à 15 % et nous aurions alors besoin de 10 % de machines supplémentaires, calcule le directeur territorial. Nous devons donc nous y préparer pour pouvoir, le moment venu, approvisionner nos clients ». Le moins que l’on puisse dire est que le groupement des entreprises de travaux forestiers n’est pas convaincu par cet argument. Il compte bien à présent faire valoir les siens. Il se prépare à adresser un courrier circonstancié aux maires des communes forestières, aux responsables des collectivités territoriales et aux parlementaires alsaciens.
Odile Weiss
*En référence à la tempête qui a ravagé les forêts alsaciennes le 26 décembre 1999. **L’étude « Avenir et adaptation des ETF aux nouveaux enjeux » est téléchargeable sur le site www.fibois-alsace.com
Édition D N A du Dim 10 jan. 2010
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