A 62 ans, René Raeppel est l’un des plus anciens élèves formé au bûcheronnage à Sainte-Marie-aux-Mines, une section qui fête son demi-siècle aujourd’hui au lycée polyvalent.
Enfant de Hoerdt, il a coupé son premier arbre dans la vallée, où il réside toujours. Il a le regard azur et le rire qui jaillit comme des copeaux de bois sous la tronçonneuse. Si René Raeppel est né au pays des asperges, à Hoerdt, c’est néanmoins la forêt qui l’a toujours fasciné. Son père était coiffeur ; lui allait couper bien plus lourd !
Trop jeune pour intégrer l’ONF, il est orienté vers le collège d’enseignement technique industriel (CETI) de Sainte-Marie-aux-Mines pour décrocher, en deux ans, un CAP de bûcheron ouvrier sylviculteur. A 14 ans, il quitte donc ses deux petites soeurs et ses parents pour devenir interne sept jours sur sept : en 1962, les élèves ne rentraient pas chez eux le week-end ! D’ailleurs, il avait même un carnet à tamponner pour justifier qu’il était à la messe le dimanche. Lui allait à l’église Saint-Louis.
« Si fatigués que nous étions contents d’aller nous coucher ! »
Les loisirs étaient restreints, mais il se souvient des jeudis après-midi passés à la piscine qu’il appréciait « par tout temps, même quand les cheveux gelaient en sortant ». Sinon, les veillées nocturnes n’étaient pas légion. « De toute façon, nous étions si fatigués que nous étions contents d’aller nous coucher ! »
Le samedi, il bichonnait les jeunes plants de la pépinière : les soins étaient notés, ça peut toujours motiver ! D’ailleurs on peut encore les voir, ces arbres qu’il avait repiqués : les pins noirs le long de la Lièpvrette et les mélèzes le long de la route, sur le site Alplast. Car c’est à cet endroit que les futurs bûcherons bûchaient, se restauraient et dormaient.
Arrivant en train, René débarquait à la gare toute proche en ayant un oeil sur la scierie Schmitt voisine. A l’époque, la semaine était déjà divisée en cours théorique, en atelier (avec réparation de l’outillage et affûtage), et sur le terrain.
C’est ainsi que le petit René, déjà balèze du haut de ses 14 ans, coupe son premier arbre, juste avant le terrible hiver 1962. « C’était en parcelle 6 de la forêt domaniale du Saint-Pierremont, un douglas d’une vingtaine de mètres qu’on a descendu au passe-partout. J’ai eu la chance de tomber sur un bon coéquipier ». C’était Hubert Murschel, de Ribeauvillé. Quand il faut scier à deux, mieux vaut s’entendre. Pour couper son premier arbre à la tronçonneuse, il faut attendre la deuxième année d’apprentissage, mais René s’en souvient sans hésiter : « C’était en parcelle 47 du Petit Haut, un hêtre. C’était moins pénible que de couper au passe-partout, malgré le poids des premières tronçonneuses. Depuis, ça s’est amélioré ».
De sa formation sainte-marienne et de son séjour dans la vallée, René Raeppel garde un bon souvenir : « Des sorties, de l’amitié dans le groupe… De toute façon, on n’avait qu’une idée en tête : bien faire le boulot », et de l’estime pour son professeur, Raymond Glohr, décédé le mois dernier. « Dès que j’ai eu mon permis de conduire, j’étais allé lui rendre visite ».
Premier prix de travaux pratique, René avait reçu une belle hache des mains du maire de l’époque. Il est retourné régulièrement voir ses successeurs dans l’établissement : pendant une quinzaine d’années, il était membre du jury pour l’attribution du CAP. Aujourd’hui, un contrôle continu valide les efforts des futurs bûcherons.
125 000 hectares par coeur
Quand il sort de l’école à 16 ans, René Raeppel est directement employé par la commune de Geudertheim en tant que bûcheron, jusqu’à ses seize mois de service militaire au deuxième RPIMA. « La discipline de l’armée ne m’a pas choqué, j’étais déjà habitué à me tenir à carreau ! » La cantine tous les jours, les dortoirs, la vie de groupe, il a appris à Sainte-Marie !
Après ses classes à Bayonne, où il voit la mer pour la première fois, il s’envole pour Madagascar, où il va apprendre à nager… mais aussi à perfectionner, en 29 sauts, ses performances en parachute, qu’il a inaugurées au Polygone à Strasbourg, à 18 ans. A Tananarive, il renonce en dernière minute à un poste de responsable d’exploitation en forêt, préférant rentrer en France.
Voulant retourner en forêt mais pas seul, sécurité oblige, il cherche désespérément un coéquipier, patiente deux ans dans une entreprise de métallurgie avant le courrier magique de la scierie Schmitt de Sainte-Croix-aux-Mines, en 1971.
C’est là qu’il va passer toute sa longue carrière (37 ans) de commis forestier, responsable des achats de bois. « J’ai commencé avec 70 m³ par jour, et fini avec 250 m³ » René Raeppel a ainsi sillonné « un domaine de 125 000 hectares de forêt que je connais par coeur » entre Alsace, Vosges et Allemagne. Il s’occupe alors de toutes les essences, mais il affiche une préférence pour le douglas. « C’est le plus beau bois, avec sa couleur rose et blanche, et qui se garde bien. Ce sont des forestiers allemands qui l’avaient ramené, vers 1890. Pour moi, c’est un bois d’avenir : il pousse beaucoup plus vite, ça rapporte davantage à l’hectare que le sapin épicéa. » Depuis plus de deux ans, René vit une retraite active, surtout avec le club vosgien. II assure son tour de rôle en tant que gardien du chalet, et organise des marches. Quand il se promène, « je garde les yeux rivés par terre pour ne pas voir les erreurs sylvicoles » souligne-t-il, lui qui pense que « pour avoir du beau bois, il faut repiquer serré, pour que l’élagage naturel se fasse. Peut être que j’ai tort. La vie d’un homme est trop courte pour voir les résultats d’une parcelle, d’une forêt ou d’un versant ».
Anne Muller
D N A Édition du Sam 15 mai 2010
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